Une technique redoutable pour faire changer d’avis

Poser une question, c’est mettre en doute. Mettre en doute, c’est faire vaciller. Faire vaciller, c’est pousser à une remise en question. Se remettre en question, c’est s’ouvrir à de nouveau paradigme.

Le pire moyen de vouloir faire changer d’avis quelqu’un, c’est la discussion. Elle est instructive et agréable mais renforce les croyances.

Alors quelle est cette goutte d’eau qui peut faire changer d’avis…

Photo de Erda Estremera sur Unsplash

Que se passe-t-il lors d’un débat ?

Face à un argument, l’interlocuteur se défend et propose des contre-arguments.

Plus il fait face à une contre-argumentation, plus il renforce ses positions. Et en les renforçant, il s’enfonce dans sa propre conviction.

L’attaque conduit à la défense ; l’action à la réaction ; la thèse à l’antithèse.

Ce cheminement s’explique par l’Ego. L’Ego est notre besoin de nous valoriser en permanence : « moi je sais telle chose », « moi j’ai fait telle autre chose » etc. L’Ego n’est qu’un cataplasme que l’on colle sur nos blessures d’enfance.

Pour se donner les moyens de changer l’avis de l’autre, il faut choisir entre « avoir raison » et « obtenir des résultats ». En fait c’est la personne la plus souple au sein d’un système qui fait pencher la balance.

D’où vient la puissance des questions ?

Le cerveau humain est ainsi fait qu’il a besoin de réponse. Une fois qu’une réponse satisfaisante a été apporté, même si elle est erronée, le cerveau peut la « classer ». Ce faisant l’esprit est libéré pour d’autres activités. En fait l’incertitude est bien trop inconfortable pour nous en accommoder facilement.

François Gaston de Lévis disait déjà en son temps « Il est plus facile de juger de l’esprit d’un homme par ses questions que par ses réponses ». En effet, les bonnes questions sont difficiles à trouver ainsi qu’à formuler. D’autant qu’elles n’appellent pas forcément de réponse. A tout le moins pas de réponse simple.

En voici un exemple : « Qu’est-ce que la vie peut m’enseigner ? »

La question qu’il importe de trouver, c’est celle qui interroge la certitude de l’autre, et qui la rend incertaine. Toutefois, il est nécessaire que ce soit votre interlocuteur qui par ses réflexions, fassent le chemin jusqu’à votre position. Parce que notre Ego nous fait survaloriser le fruit de nos réflexions aux assertions d’autrui.

Et comme nous avons entériné depuis bien longtemps qu’une question appelle une réponse. Nous nous sentons obligé d’y répondre, dans les choix ouverts par cette dernière.

Un exemple courant : un vendeur d’ordinateur vous demande « Voulez-vous une garantie de 1 ou 2 ans ? » Que vous lui répondiez 1 an ou 2 ans, vous avez probablement omis de considérer l’option « je ne veux pas de garantie ».

La puissance des questions pour faire changer d’avis, vient à la fois de la faiblesse des autres manières de faire (argumentation, démonstrations, discussions), mais également du fait qu’elle n’attaque pas frontalement l’Ego.

Quelles questions poser ?

De toutes les questions que l’on peut poser, bon nombre ne porterons pas de fruit. Que ce soit parce qu’elles sont mal posées, que la réponse soit gênante, l’interlocuteur de mauvaise fois ou bien d’autres raisons encore !

Connaitre le sujet

Tout d’abord, il convient de comprendre la position de l’autre. Il s’agit là d’obtenir des informations sur les motivations, la perception, la compétence, la personnalité, les valeurs, les priorités, les envies, les intérêts, …

Exemple d’information à connaitre :

Pourquoi pense-t-il cela ? Pourquoi dit-il cela ? Quelle est sa vraie raison ? (Il y a généralement une réponse « officiel » que nous donnons en premier, mais souvent quelque chose de plus profond nous anime)

M’a-t-il tout dit ? Qu’a-t-il compris ? Qu’en pense-t-il ?

Quel événement marquant a modifié sa perception des choses ? Quelle image veut-il renvoyer ?

Quelles sont ses qualités et défauts ? Quelles sont ses priorités dans la vie ?

Est-il influençable ? Que connait il « de la vie » ? Se connait-il bien lui-même ?

Etc…

Aborder le sujet

Ensuite, quand votre interlocuteur vous sait suffisamment au courant de sa situation, alors peuvent être entendu des questions davantage tournées sur l’objet du débat.

Lorsque vous entamez cette partie soyez au clair sur ce que vous voulez obtenir de l’autre et ce que l’autre veut obtenir de vous. Et soyez conscient que votre objectif sera plus facile à atteindre si vous visez un résultat gagnant/gagnant.

Exemple d’information à connaitre :

Quelles difficultés rencontre-t-il et comment pouvez-vous l’aider sur le sujet en question ? Qu’est ce qui l’intéressent sur ce sujet ? Et pourquoi ?

Chacun d’entre nous souhaitons combler certain désir, c’est pourquoi votre interlocuteur est susceptibles de trouver de l’intérêt dans ce qui améliorera son sentiment de sécurité, son besoin de valorisation, celui du changement, du confort ou de la facilité, lui fera gagner de l’argent ou réaliser des économies, et enfin ce qui le rendra digne d’affection, d’amour ou de respect.

Quelles émotions cela provoque-t-il chez lui ? Quelle est son point de vue ? Que peut lui coûter son changement d’avis ?

Etc…

Accompagner le processus de décision

Après ces deux premières étapes, il est temps que votre interlocuteur prenne une décision. A ce moment, il peut être nécessaire de l’accompagner à surmonter ses dernières barrières, et donc de répondre à ses questions. Ou mieux, à apporter les réponses aux questions qu’il se pose sans même qu’il les ait posés.

Cette anticipation vient avec l’expérience. Dans mon métier de formateur, j’ai noté une évolution dans ma manière de procéder. Avec les années je commençais à savoir quelles questions se posait le groupe à tel ou tel moment de la formation. Alors, en fonction de si j’avais besoin de revitaliser le groupe ou d’avancer dans le programme, je formulais mes propos soit de manière à ce que les questions soient nécessaires, soit au contraire en étant suffisamment précis pour qu’elle n’est plus lieu d’être.

Exemple d’information à connaitre :

De quoi a-t-il besoin pour décider ? (Temps ? conseils ? informations ? …)

Quelles sont les efforts qu’il doit faire ? (Comment l’aider ou l’accompagner ?)

A quel point est-il sur du bien-fondé de la démarche ? (Idem)

Est-il prêt à assumer cette décision ? (Idem)

Sait-il comment appliquer cette décision ? Que perd il en l’assumant ?

Etc…

Entériner la décision

Une fois la décision prise, il faut la « graver dans le marbre » et donc connaitre le moment d’application de la décision. Ce dernier pas est important car il coûte plus que les suivants. Pour ce faire, je vous conseille de reformuler les réponses satisfaisantes de votre interlocuteur. Cela a pour but d’officialiser la démarche. Si la situation s’y prête, sachez qu’en reformulant devant des témoins vous rendrez l’engagement plus fort.

Exemple d’information à connaitre :

Est-il au clair avec tous les points précédents ? S’est-il senti libre dans le processus d’acquisition ? A-t-il confiance en ses capacités de résilience sur ce sujet ? …

Comment poser les questions ?

Toutes les situations sont différentes, il ne peut donc y avoir un protocole figé. Mais plutôt une tendance générale ou une ligne directrice.

Les 4 types de questions

                Ouvertes

Ce sont les questions idéales pour ouvrir la parole et explorer le plus largement possible l’expérience de l’autre. Elles servent à faire parler, faire réfléchir, entrevoir l’étendue des connaissances de l’autre, mettre en confiance, …

Elles commencent par : Qui ? Quoi ? Où ? Comment ? Combien ? Pourquoi ?

                Fermées

Elles servent à vérifier, à obtenir une précision, un engagement, un choix, … Elles n’appellent qu’une alternative réduite de réponses. Généralement « oui » ou « non ».

Elles sont généralement utilisées pour conclure.

                A choix multiple

Ces questions sont utiles pour apporter de l’aide. Elles permettent de donner des idées de réponse et donne la possibilité de choisir. Elles diffèrent des questions fermées par un nombre de réponse supérieur à deux.

                Interro-négatives

Elles ont une réelle influence sur celui qui les entend, car elles sous-tendent la « bonne » réponse. Elles peuvent manipuler. Les questions interro-négatives incite plus à réagir que les autres.

Que cherchez vous par vos questions ?

                Faire un jugement de valeur ?

Il faut pour cela poser des questions orientées. Du type : Peut-être feriez-vous mieux de… ? Pourquoi faire ceci… ?

Ces questions donnent des points de repère et permettent de rassurer. Elles sont efficaces si votre interlocuteur vous estime compétent et légitime. Elles peuvent engendrer de l’agressivité et des justifications.

                Valider vos convictions ?

Pour cela, posez des questions du style : C’est certainement dû à … ? Ne voyez-vous pas les choses de la manière suivante… ?

Ces questions donnent le sentiment d’être compris si vous « collez » à l’opinion de l’interlocuteur. Cependant en les utilisant, vous pouvez travestir la réalité. Elles présentent l’inconvénient de bloquer l’autre ou de l’irriter en cas de mauvaise interprétation de votre part.

                Apporter du soutien ?

Exemples : Est-ce si important ? Vous voulez que je vous aide ?

Ces questions apportent une consolation, une dédramatisation ou de la compassion. Elles vous mettent dans une position ou la personne va se sentir redevable envers vous.

                Investiguer ?

Ce sont des questions pour faire préciser qui vont vous y aider : A quel moment est-ce que … ? Qu’avez-vous vu/ressenti à tel moment ?

Ces questions nous permettent de diriger la réflexion vers notre objectif. Ce sont ce type de question qu’affectionnent les journalistes et force de l’ordre. Si vos questions sont perçues comme bienveillantes, elles seront perçues comme une aide. Dans le cas inverse ,elles provoqueront un sentiment de manipulation.

                Décider pour l’autre ?

Exemples : Si vous voulez mon avis… ? Avez-vous déjà essayé de faire … ?

Nous poussons à l’action en donnant une solution. Si nous avons une légitimité, ces conseils seront perçus comme de l’aide. Mais peuvent être perçu comme intrusive et, dans le cas d’une inadéquation, vous ferons perdre de la crédibilité.

                Comprendre ?

Photo de Kelly Sikkema sur Unsplash

Le mieux c’est de ne rien dire et d’attendre que la conversation se poursuivent ou reprennent. Si besoin, utiliser des reformulations (sans déformer son propos) :  Si j’ai bien compris… ? Je reformule ce que vous m’avez dit : … est-ce bien ça ?

Elles démontrent que vous avez sincèrement pris en compte les paroles de l’autres et qu’il est votre centre d’intérêts. Ces questions vous permettent d’en savoir plus et de favoriser une prise de conscience. Cette manière de procéder peut par contre donner le sentiment que vous acceptez ou validez ce que vous dit votre interlocuteur.

Les réponses

Vos questions, et particulièrement les réponses qu’elles induisent peuvent être spontanées ou réfléchies. En fonction de ce qu’elles provoquent chez votre interlocuteur et des objectifs qu’il poursuit, elles peuvent être sincère, convenu ou spécieuse.

Reformulation

Il y a ceux qui vont les reformuler à leur avantage: soit parce qu’il y a une chose en particulier qu’ils souhaitent dire. Ou au contraire pour dissimuler quelque chose.

Prenons l’exemple d’une personne qui demande « Peux-tu me dire qui est responsable de la prolifération des algues sur les côtes bretonnes ? ». L’interlocuteur peut répondre « La vrai question ce serait plutôt de savoir… ?».

D’autres estimeront la question mauvaise ou imprécise et s’autoriseront à la transformer.

Exemple : Une personne demande « Que vas-tu faire pour t’en sortir ? ». L’interlocuteur peut transformer en « Que puis-je faire pour m’en sortir ? »

Refus de réponse

D’autres encore, estimeront la réponse embarrassante et vous feront savoir leur refus de répondre.

Exemple « Je t’ai vu en compagnie d’une charmante jeune fille ce midi. Qui est-ce ? »

Il y a aussi ceux qui trouveront qu’ils ont trop à perdre pour dire la vérité.

Exemple « Tu as les yeux rougis par les larmes, un œil au beurre noir et tes vêtements sont déchirés. Que s’est-il passé ? »

Certains, pour gagner du temps ou pour réfléchir, vous demanderont des précisions sur la question, son sens général ou la définition des mots qui la compose.

Exemple « Penses-tu vraiment que tous ceux qui vote Macron sont plus intelligents ? » L’interlocuteur peut répondre « Qu’appelles-tu intelligent ? »

Et enfin, certains prendront leur temps pour répondre.

« Il est prouvé que les émissions de co2 émis par les hommes sont à l’origine du réchauffement climatique, pour telle et telle raisons. Que réponds-tu à ces arguments ? » « hmm…boff ».

Identifier ces différents type de réponses vous permettront de les utiliser et, au cas ou votre interlocuteur en abuse, de ne pas vous en contenter.

Merci de m’avoir lu.

Donner votre avis en commentaire sur votre solution favorite pour faire changer d’avis…

Pierre-Favre Bocquet

Partager l'article :

7 commentaires pour “Une technique redoutable pour faire changer d’avis

    1. Oui très compliqué! Mais ce qui est trop facile est dénué d’intérêt 😉
      Oui, la prochaine fois que quelqu’un t’expose une position que tu ne partage pas: reformule son propos, sans juger ni critiquer, et demande lui si c’est bien ce qu’il à voulu dire?

  1. Eh oui les bonnes questions font des miracles…
    C’est aussi l’outil des coachs.
    Les questions font réfléchir… pour autant que l’autre soit ouvert à la réflexion.
    Une fois que l’on pratique régulièrement cela devient un automatisme.
    Merci et à bientôt Pierre-favre

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *