Que vous vouliez débattre ou discuter, si le sujet vous tient à cœur, se pose la question de comment construire un argument. Nous pouvons vouloir débattre pour nous valoriser, pour blesser l’autre, pour rechercher la vérité, pour le plaisir de la confrontation, pour faire le concours « de celui qui a la plus grande », pour se défendre contre une attaque, pour défendre ses intérêts ou ceux de son entreprise, … Nous pouvons vouloir débattre pour tout, mais parfois nous n’avons pas le choix que de savoir nous battre.
Se battre à l’oral j’entends. Car que ce soit pour obtenir un contrat, un stage, un job, ou encore un engagement citoyen, financier ou que sais-je encore, c’est à la force de la parole qu’il va falloir ferrailler.
Il y a quelques années encore les duels étaient de rigueur pour sauver son honneur. Aujourd’hui ils sont dépassés, mais il reste votre honneur et vos intérêts. Voulez-vous les défendre sans arme ?
Non ? Alors venez voir comment construire un argument.
L’importance de construire un argument
Parce que la cause que vous défendez vous tient à cœur, vous voulez que votre interlocuteur vous comprenne. Alors vous ne pouvez partir « au petit bonheur la chance » en espérant que votre récit tienne la route.
Je pense que nous avons tous expérimenté la cuisine. Il est facile de cuire un aliment. Il est plus agréable de manger un aliment bien cuisiné. Partant de là, soit vous trouvez une recette soit vous improvisez à l’aveuglette. De ces deux manières laquelle vous donnera un résultat satisfaisant le plus rapidement ? La première bien sûr.
Pour votre discours c’est pareil. En ce qui concerne les arguments, il y en a de toutes sortes et de tous niveaux de complexité. Celui que je vous propose aujourd’hui est relativement simple. Il nécessite uniquement un petit peu de temps et de réflexion, point de grande théorie.
L’argument, c’est le fond de votre discours. C’est ce qui le rend pertinent, efficace … et qui rend votre propos qualitatif. Sans argument « de fond », votre propos servira peut-être à divertir, peut-être à informer, peut-être à expliquer, mais pas à convaincre. Donc si le but de votre élocution est de convaincre, il vous faut travailler l’argument. Il vous faut savoir comment construire un bon argument. !
Nommer votre argument
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement »
Que votre public soit intelligent, cultivé, analphabète, ou constitué d’enfants de 7 ans, il ne comprendra que ce qui est clair, ne retiendra que ce qui est simple, ne mettra en œuvre que ce qui lui est accessible.
Nommer votre argument est la première étape pour que votre public garde en tête ce dont il est question. Rappelez-vous cette citation de Coluche « Les technocrates, c’est les mecs que, quand tu leur poses une question, une fois qu’ils ont fini de répondre, tu comprends plus la question que t’as posée ! »
Donc nommer votre argument, c’est l’exprimer en une phrase courte que vous développerez par la suite.
Exemple : « Le sage écoute car il voit l’étendue de son ignorance » est plus clair que dire « Un sage est reconnaissable par sa faculté à subodorer qu’il ne possède qu’une petite fraction des connaissances humaines, connues ou à découvrir, alors il en vient à se comporter comme l’élève devant le maître, car il est curieux d’en savoir toujours davantage pour tendre au plein accomplissement de sa nature d’érudit ». Je ne sais pas pour vous, mais la première formulation me semble plus accessible !
Faites coller la théorie et la pratique
Dès lors que l’on a étudié un sujet, nous en savons plus que 95% de la population. Et si l’on maîtrise un sujet, il est parfois compliqué de se rendre compte de la difficulté qu’a un profane pour aboutir à la même conclusion que nous.
C’est pour cette raison qu’il faut mettre du sens dans son propos. Le meilleur argument que vous puissiez trouver, c’est celui qui n’a l’air que de la simple explication.
Petit aparté :
Lorsque l’on cherche à convaincre, il nous arrive de davantage justifier qu’expliquer. La différence entre les deux, c’est que justifier s’appuie sur des jugements de valeur et expliquer sur des faits. Ceci dit, les jugements de valeur peuvent être utiles, pratiques même pour ne pas brusquer votre interlocuteur et lui laisser une porte de sortie (c’est à vous de voir).
Votre capacité à donner du sens vous rend crédible. Le sens provient de votre capacité à expliquer « pourquoi ? » en permanence. A chaque étape du propos, il faut que vous expliquiez en quoi ce que vous venez de dire est important, vrai et légitime.
Exemple :
« Le sage écoute car il voit l’étendue de son ignorance » : pourquoi ?
« Parce qu’il apprend de nouvelles choses tous les jours » : pourquoi ?
« Parce que tous les jours, il découvre de nouvelles spécialités ou de nouvelles découvertes dans des spécialités connues » : pourquoi ?
« Parce que chaque jour des personnes spécialisées repoussent les limites des savoirs humains » : pourquoi ?
« Parce que le savoir humain est une fraction du Savoir avec un S majuscule » : pourquoi ?
« Parce que l’humain n’a pas la science infuse et qu’il avance à tâtons dans l’immensité de la connaissance » : pourquoi ?
« Parce qu’il est une parcelle éphémère de l’univers » … et ainsi de suite
Viendra la conclusion : « Le sage a conscience qu’il en sait bien moins qu’une personne très instruite, qui en sait elle-même bien moins que l’ensemble des personnes instruites, qui en savent bien moins que l’ensemble des personnes vivant sur terre, qui en savent bien moins que l’ensemble de ce que les humains découvriront dans le futur, qui d’ailleurs ne pourront jamais être sûr d’avoir « extrait toute la connaissance » (Idriss Aberkane), et donc ne pourront que continuer à chercher pour savoir, et, in fine, ne sauront jamais tout parce que l’univers étant infini, il y a une infinité de découvertes potentielles … Bref, le sage est conscient de son ignorance et cherche à y remédier par l’écoute .
Conclusion : « Le sage écoute car il voit l’étendue de son ignorance »
Le bon exemple pour construire un argument
L’exemple est comme une colle qui vient faire adhérer votre théorie à la réalité. Pour que l’exemple soit efficace, il doit être tourné vers le public. De manière à ce que celui-ci se reconnaisse dans le propos. C’est la proximité entre ce que vit votre public et ce que vous dites qui rendra votre discours pertinent, et surtout performant.
Attention exemple n’est pas anecdote
Exemple : fait, cas antérieur semblable ou comparable à ce dont il s’agit.
Anecdote : fait de caractère marginal, relatif à une ou à des personnes, inédit ou peu connu, auquel on peut attacher une signification, mais qui reste accessoire par rapport à l’essentiel.
L’exemple va faire adhérer l’auditoire, l’anecdote va divertir, amuser voire même vous discréditer.
L’intérêt capital d’expliciter l’exemple est de s’assurer que chaque membre de l’auditoire le perçoit de la même manière.
Exemple :
Si je veux illustrer le fait que « L’Homme est tellement imbu de ses certitudes qu’il se croit intelligent. Et parfois même, plus intelligent que ses semblables. »
Je peux le faire de la manière suivante :
« J’avais un poisson rouge, que s’appelait Bubulle. Bubulle tournait en rond dans son bocal, il était venu au monde dans le même environnement où il évolue actuellement. Dans le même bocal, sur le même meuble, dans la même pièce, avec la même déco. Sa mère était décédée alors qu’il était encore en bas âge. J’étais donc le seul être vivant que Bubulle n’ai jamais vu.
Bubulle voyait son environnement par le prisme de son bocal. Pour lui, les bords des meubles ne sont pas droits, d’ailleurs ils changent de forme en permanence. Tout comme moi, il me voit tout déformé en fonction de l’endroit d’où il me regarde dans son bocal. Bref il croit voir la réalité mais n’en reçoit qu’une image.
L’être humain est comme ce poisson rouge ! Il a sélectionné dans l’histoire les passages qui flatte son égo, il abreuve sa soif de savoir auprès des auteurs qui correspondent à ses croyances, il croit vrai ce qui correspond à ses valeurs, il affirme ce qui le valorise, pour la plupart il n’est même pas conscient de ses biais cognitifs. Bref il ne juge que par ce qu’il connait. Et, parce qu’il ne connait pas ce qu’il ignore, croit que ses certitudes sont certaines et refuse de voir son ignorance. »
On me rétorquera peut-être que l’être humain a plus de moyen que Bubulle pour accéder à la connaissance… Je répondrais sans doute « N’est-ce pas ce genre de croyance qui nous rend si sûr de nous ? »
La touche finale pour construire un argument
Pour clôturer votre argument, il faut lui remettre son étiquette. Vous aviez défini une formulation simple pour présenter votre argument. C’est le moment de la ressortir.
Votre public vous a suivi. Plus ou moins distraitement, en fonction de son intérêt pour le sujet, de sa capacité d’attention, de votre capacité à vous exprimer et rendre vos propos dignes d’intérêts, … Quoi qu’il en soit nous ne retenons que 20% de ce que nous entendons, alors rappeler quelle est votre argument est indispensable.
En fermant la boucle de cette manière, vous ne laissez aucun doute dans l’esprit de votre public. La synthèse de votre argumentation sera à la fois clair et simple.
C’est à vous !
Maintenant que vous savez comment construire un argument, c’est à vous de prendre le temps de la réflexion sur ce qui étaye vos certitudes.
D’ailleurs, quel est votre plus grande certitude ?
Pierre-Favre Bocquet
Coucou Pierre Favre,
Et bien je viens de comprendre grâce à toi la nuance entre vouloir se justifier et expliquer, et exemple/anecdote. Ma seule certitude est justement :”Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien”. C’est génial, car je me dis que je ne m’ennuierai jamais et que j’aurais toujours quelque chose à apprendre. Et c’est à la fois parfois fatigant car j’aimerais pouvoir de temps temps me reposer sur des certitudes. Merci pour ton article qui me fait avancer dans mes réflexions.
“Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien” J’aime !
Hello Pierre,
Je rejoins ta recette sur le “nommer” et “trouver l’exemple” qui éclaire le propos. Je trouve ces 2 ingrédients particulièrement importants pour exprimer ses idées et convaincre.
Bon article, très intéressant de réfléchir à comment mieux structurer et construire un argumentaire pour pouvoir étayer et appuyer son propos. Excellente idée d’avoir cité Idriss Aberkane, un maître incontesté dans l’art du discours et de l’argumentaire qui va avec. Merci pour cet article !
Yep ! C’est clair qu’Idriss Aberkane est un maître à penser en la matière !
C’est plus facile si on est préparé à l’échange et bien chaud… C’est en cas d’imprévu que ça se gâte souvent. Tu devrais nous faire un article pour nous dire comment faire pour ne pas réagir à chaud devant une agression verbale.
Merci Sylvie, je retiens l’idée
Très bon cet article ! Merci. Un bon argument doit se préparer, car peu de gens ont une vivacité d’esprit qui permet de rebondir et de faire mouche sur l’instant. L’anticipation des scenario permet souvent cela…