Être plus persuasif

Être plus persuasif, c’est apprendre à manipuler. Si c’est ce que vous pensez vous êtes sur le bon article car rien n’est plus faux. Voyez plutôt :

Manipuler, c’est amener quelqu’un à faire quelque chose sans qu’il le sache.

Persuader, c’est très différent. Persuader, c’est amener quelqu’un à faire quelque chose. En d’autres termes c’est le faire passer à l’action, et ce alors même qu’il a conscience de votre souhait de le voir passer à l’action.

Être plus persuasif, nous en avons tous besoin. Et l’intérêt de savoir l’être, c’est d’avoir le choix d’en user ou non. En ne sachant pas persuader de deux choses l’une, ou vous perdez toutes vos chances de faire valoir vos intérêts, ou vous avez déjà cette compétence et vous ne laissez pas aux autres la possibilité de vivre leurs choix.

Alors, voulez vous faire partie des Hommes libres qui respectent la liberté des autres ? Si la réponse est oui, bienvenue dans cet article sur l’art d’être plus persuasif.

Être plus persuasif c’est quoi exactement ?

Être plus persuasif, c’est avoir la possibilité de rallier une opinion à sa cause.

L’anecdote

Les questions

Voici quelques années maintenant, les formations que j’animais portaient sur le thème de la sécurité incendie. Pour ceux d’entre vous qui ont eu l’occasion de bénéficier de ces formations dans le cadre de leur travail, peut être avez-vous eu le sentiment que le formateur en « faisait trop », qu’il exagérait le risque et que, dans votre entreprise, dans votre magasin, dans votre open space, le risque était bien minime. Peut-être même « tout relatif ». Qu’il n’y avait pas besoin de se former ou de se stresser avec « ce genre de truc ».

Alors, si tel est le cas, peut être lui avez-vous répondu quelque chose du genre « Vous croyez vraiment que cette issu de secours bloquée juste avec une barre va changer quelque chose ? » ou « Une palette devant un extincteur est ce que ça change vraiment quelque chose ? ».

Les réponses

Si tel est le cas, le formateur a pu vous répondre quelque chose comme :

  • « Oui ! ». Ça a le mérite de répondre à la question mais risque de ne pas porter ses fruits.
  • « C’est interdit c’est tout ». C’est un argument d’autorité, ça peut marcher.
  • « Le temps que cela prend peu faire une différence entre rester en vie et la perdre, ça sera peut-être quelques secondes qui feront la différence. Et puis peut être que vous, vous arriverez à prendre l’extincteur, mais est ce que ce sera le cas pour tout le monde ? ». Il y a déjà plus d’affect dans la réponse. Il devient plus difficile d’ignorer l’argument.
  • Mais que pensez-vous de cette réponse : « Je me rappelle, il y a quelques années de ça dans un Supermarché, il y a eu un incendie. Les issues de secours étaient fermées avec des chaînes en plastique, vous savez les chaines en plastique verte blanche avec des maillons précassés, une dame âgée a voulu sortir, elle n’a pas réussi à casser la chaîne, elle a paniqué. Elle est décédée là au pied de la porte. Alors est ce qu’un carton ou une palette va vous empêcher de sortir, je ne sais pas. Et je m’en fiche je ne travaille pas ici. Si vous le faites, faites-le pour vous, pas pour moi. »

L’explication

« Nous aimons croire que nous nous comportons comme des philosophes alors que nous nous comportons comme des chimpanzés. »

Quand je dis que nous nous comportons comme des chimpanzés, c’est parce que nous sommes conscients de nos désirs mais pas des raisons qui en sont la cause. Et pourtant si on nous demande la raison de nos désirs, nous pouvons les justifier. C’est pour cela que nous nous prenons pour des philosophes. En fait toutes ces réponses élaborées tendent à flatter notre ego (et nous en avons besoin).

Les premières réponses sont de l’ordre du raisonnement. Le raisonnement, c’est lorsque l’on fait appel à notre système « réflectif ». Il provient de la partie la plus complexe de notre cerveau (cf l’article sur le fonctionnement de notre cerveau). Pour inciter une personne à faire ce que l’on souhaite, nous essayons de la raisonner car c’est ce mode de fonctionnement qui nous est familier. C’est avec celui-là que l’on réfléchit, que l’on se construit des schémas de pensée. Et c’est parce qu’il nous est facilement accessible que nous choisissons de l’utiliser.

En réalité ce qui nous fait prendre nos décisions et agir relève d’un mode « automatique ». Et celui là nous n’y avons pas accès facilement. C’est la raison pour laquelle nous l’utilisons très mal ou ne pensons pas à l’utiliser. Or pour être plus persuasif c’est ce mode qu’il faut activer chez notre interlocuteur.

La dernière réponse correspond à ce mode. Elle n’apporte pas directement la réponse à la question posée mais elle fait s’imaginer celui qui entend, dans une situation où l’objet anodin qu’il a sous les yeux est de nature à faire perdre une vie. Et qu’il peut facilement l’en empêcher.

Pourquoi ça marche ?

L’action à réaliser est simple. L’enjeu est grand. La liberté de l’interlocuteur est respectée. Et, cerise sur le gâteau, celui qu’il considérait comme un « Ayatollah » de la sécurité lui dit « qu’il s’en fiche de la vie de ceux qui travaillent ici ». Toutes ces informations se bousculent dans son cerveau et le moyen le plus simple d’apaiser ce cerveau en ébullition, c’est d’enlever l’objet qui cause le désagrément.

Donc, s’il faut faire appel au mode « automatique » pour être plus persuasif c’est parce que les humains sont en grande partie des êtres irrationnels.

Quatre secrets pour être plus persuasif

Rompre les attentes

Dans l’exemple donné plus haut s’entendre dire « je m’en fiche je ne travaille pas ici », alors qu’une des raisons de la présence du formateur est l’intérêt qu’il porte à la sécurité des gens, fait tomber les barrières mentales de l’interlocuteur.

En l’espace d’un instant, il se trouve désarmé. Du coup l’esprit critique s’effondre et il doit reconstruire son système de pensée sur de nouvelle base.

Or le cerveau se laisse convaincre par ce qui est facile à comprendre. Et là ce qui est facile à comprendre, c’est qu’un élément « facile à gérer » a posé un problème insurmontable.

L’humour

« Femme qui rit est à moitié dans ton lit. »

L’humour lui aussi est redoutable pour être plus persuasif. Mais que se passe-t-il donc ? (Dans le cerveau pas dans le lit hein !)

Notre cerveau est calibré pour prêter davantage d’attention à ce qui est nouveau, surprenant ou inattendu qu’à ce qui est prévisible ou banal. Du coup l’humour augmente l’activité cérébral. Il s’ensuit un moment d’instabilité ou le cerveau doit faire un « retour en arrière » pour comprendre ce qui vient de se passer. Alors la voie est libre pour « réécrire l’histoire ». Et comme l’humour a un caractère plaisant et que le cerveau doit retrouver son « fil conducteur », il est prêt à accepter un nouveau point de vue.

La confiance

Si vous voulez mettre toutes les chances de votre côté pour être plus persuasif, il importe d’inspirer confiance.

Le cerveau utilise ce que l’on appelle une « heuristique de confiance » (cf un livre très intéressant ici). C’est-à-dire des simplifications mentales pour nous simplifier la vie (cf ici). C’est la raison pour laquelle la confiance est importante. Son absence entraine une « barrière automatique » entre le « persuadeur » et le « persuadé ».

En étant digne de confiance, vous facilitez le travail cognitif de votre interlocuteur. Et tout ce qui va en ce sens améliore votre capacité à être plus persuasif.

Notez bien au sujet de cette heuristique, que notre cerveau s’appuie sur ce qui est facilement disponible. D’où l’intérêt de bien s’habiller pour parler en public par exemple. (Et si le sujet des heuristiques vous intéresse, voici un article qui va vous passionner.)

L’empathie

« Être écouté et compris, quoi demander de plus ? »

L’empathie est un outil formidable pour être plus persuasif car elle met les gens de notre côté.

Chaque être humain a des besoins, dont celui d’appartenance et d’estime (d’après la pyramide Maslow). En apportant à l’autre ce dont il a besoin, en l’occurrence la nourriture de l’estime de soi, vous comblez un besoin important de l’être humain. Par conséquent vous rendez votre compagnie agréable et réconfortante.

Vous voulez un secret pour être empathique ? Ayez de bonnes intentions envers votre interlocuteur.

Si je devais résumer cette partie en une phrase je dirais « Pour montrer que vos intentions sont bonnes, ayez de bonnes intentions et le reste coulera de source ».

Et si je veux être plus persuasif dans un discours ?

Alors il vous faut un plan.

Le plan se divise en cinq étapes et va user à la fois du côté émotionnel et du côté rationnel.

Commencez par activer les émotions en faisant part à votre public d’un problème dont l’enjeu est grave où qui vous fait de la peine.

Passez au côté rationnel en posant un diagnostic.

Restez dans le registre rationnel en avançant une solution au problème et en la justifiant.

Puis revenez aux émotions en décrivant les aspects positifs qui surviendront en appliquant votre solution.

Et pour terminer, faites un appel à l’action.

En pratique cela pourrait donner ceci :

Activer les émotions

« Non ! J’en veux pas de ta clope. Mon père est mort quand j’avais 16 ans à cause du tabac, alors j’en veux pas de ta m… .

Un diagnostic

Préfères-tu entendre que tu as 10 fois plus de risque d’avoir un cancer de la vessie pour le plaisir de fumer ? Ou que ton gamin a plus de risque d’avoir une leucémie, parce que tu te fais plaisir avec une cigarette ? Perso je comprends le plaisir qu’il y a à fumer. Mais crois-moi, c’est dur de perdre son père à 16 ans.

La solution et la justification

J’imagine bien la difficulté à arrêter de fumer, en même temps tu fais partie de ceux qui ont une volonté de fer. Quand je vois que tu peux rester avec un frigo plein de bières sans en boire une quand tu es tout seul, tu ne me feras pas croire que repousser une clope de deux heures t’est insurmontable. La clé, c’est d’avancer progressivement et savourer la joie de réussir une étape à la fois. Franchement si tu y arrives du jour au lendemain, tu as tout mon respect. Mais sinon, vas-y un pas après l’autre 😉.

Les aspects positifs de la solution

Je vais te l’avouer, à quinze ans, je fumais avec mon père. On avait une relation super proche, on rigolait des campagnes anti-tabac. Je me rappelle que quand il proposait une clope à ses potes, il disait « tu veux un peu de cancer ? ».

Et puis quand il est parti à l’hôpital, j’ai arrêté, j’ai écrasé mon paquet et je l’ai jeté. Ça n’a pas sauvé mon père, ça sauvera peut-être mes enfants. En attendant, j’ai eu une bonne surprise quelques mois plus tard. Un matin en sortant de chez moi j’ai senti une légère odeur d’humus. Une odeur que je n’avais pas senti depuis des années. Elle pouvait enfin arriver jusqu’à mes narines, libérées de tous ses goudrons. Maintenant je me réjouis tous les jours en me délectant de l’odeur du café chaud, du pain qui sort du four, du shampoing de mon bébé, de l’odeur du fumet qui règne dans le gîte qu’on a loué à la montagne. Plein de petits riens, plein de petits plaisirs, qui me rappelle qu’il y a 10 ans maintenant, j’ai pris une belle décision.

L’appel à l’action

Alors, pour gagner la guerre sur tes clopes, repousse la prochaine de 2h. »

Bien sûr, libre à vous de plus ou moins développer telle ou telle partie, mais surtout pensez à utiliser le mode « automatique ». Celui qui s’active par ce que l’on fait ressentir à l’autre.

Pierre-Favre Bocquet

 

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8 commentaires pour “Être plus persuasif

  1. Très bon cet article Pierre-Favre. Personnellement ce qui fait que j’adhère (ou pas) à un discours c’est en grande partie ce qui se dégage à première vue de mon interlocuteur : via son apparence physique, le ton de sa voix, son assurance… avant même le fond de son discours. Je sais que c’est pas cohérent, mais il me faut un peu de temps pour prendre du recul et analyser le fond du message. Le sachant j’essaie de le corriger mais c’est contre ma nature clairement ! Merci pour ton article

    1. C’est très honnête de le reconnaître.
      La plupart du temps c’est l’inverse. Les gens disent qu’ils priorisent le fond sur la forme (et d’ailleurs spontanément je fais partie de ces gens là) alors qu’en réalité nous jugeons d’abord sur la forme. Tu es sans doute plus conscient que beaucoup sur le fonctionnement de ton cerveau.

    2. Je suis tout à fait d’accord avec Nicolas! Je fonctionne pareil!Rien à ajouter! 😉
      L’article est top ! Je retiens plusieurs astuces pour mes prochaines interventions!

  2. Très bon article!
    Pour moi l’empathie est très importante. Effectivement si je sais que la personne en face de moi me veut du bien, j’aurais beaucoup plus de faciliter à lui apporter ma confiance et donc à me ranger à son opinion.
    Merci pour ces explications!

  3. Merci pour ces astuces et ton point de vue. La persuasion se travaille, et selon moi la 1ere pierre pour être persuasif c’est de travailler sur son regard sur soi.
    Si tu t’aimes assez pour ne pas craindre la critique et le regard des autres, alors tu es authentique, et convaincant/persuasif.
    Ceci dit, un plan détaillé comme le tiens est aussi essentiel pour ceux qui cherchent à être plus persuasif selon les situations !
    A bientôt

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