On s’engueule pas, on discute !

Ça vous est déjà arrivé une discussion entre amis qui part en c… (en cacahuète bien sûr) ?

De la discussion à l’invective

Au début tout se passait bien et puis, les choses ont dérapé. Le ton amical s’est transformé en échange d’arguments et, de fil en aiguille les propos blessants sont arrivés.

Pire, vous avez le sentiment que les idées que vous défendez sont la caricature de votre pensée. Vous avez l’impression que votre interlocuteur se réfugie derrière un « Nan mais je disais ça pour rire ». Mais vous savez que lorsqu’il l’a dit, ça n’était pas pour rire.

Pire encore, le « deux poids deux mesures » a fait son apparition. Il n’est même plus question maintenant de convaincre. La prétendue discussion a tourné à l’invective et à l’attaque d’amour propre.

Je vous fais une confidence

Il y a une personne dans mon entourage que j’aime beaucoup. Nous ne sommes pas d’accord sur tout mais cela importe peu. Quand elle parle, je l’écoute (du mieux que je peux, sans chercher à lui dire qu’elle à tort ou que j’ai raison) ; et quand je parle elle m’écoute, sans chercher à me dire que je me trompe ou qu’elle à la vérité. Et je trouve ça particulièrement sain. C’est ce qui permet d’avoir une bonne discussion. Une discussion où tout le monde sort gagnant.

Une discussion peut être conflictuelle. C’est d’ailleurs la base de la liberté : si nous n’avons pas le droit du désaccord, nous ne sommes pas libres. Mais conflictuelle ne veut pas dire agressif ou blessant. Et justement, lorsque le but de l’échange n’est plus d’échanger des idées mais de détruire l’autre dans ce qu’il est, on ne peut plus parler de discussion. Mais plutôt de querelle, de dispute, de guerre d’égo, d’invective etc.

Et à ce moment-là, si quelqu’un vient nous le faire remarquer nous répondons parfois « On s’engueule pas, on discute ! »

Et là, j’ai envie de dire « Ooohpôpop ! ». Mais au fait, c’est quoi une discussion ?

C’est quoi une discussion ?

Une petite définition, tiens pourquoi pas !

Une discussion c’est une action qui consiste à parler avec d’autres personnes, en échangeant des idées, dans le but dans faire une analyse, une critique ou tout simplement de les échanger.

La discussion est une forme d’art. C’est une pratique tellement habituelle et anodine qu’elle passe inaperçue. Elle a pourtant longtemps été considérée comme un raffinement. Mais j’ai bien peur qu’au jour d’aujourd’hui, où tout le monde pense tout savoir sur tout, et où l’on cherche surtout à être écouté (moi le premier), la discussion n’est plus « la rencontre des individus où la parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui écoute » mais qu’elle est devenue l’estrade de l’individu. Ce que je veux dire c’est que la discussion sert plus à se mettre en avant, qu’à échanger et passer du bon temps.

La discussion pour passer du bon temps

La discussion, c’est l’élément qui vient s’intercaler entre nous et l’autre, pour occuper agréablement un espace de temps.

Elle se pratique entre amis, collègues, membres d’une même famille ; mais aussi inconnu ou opposant ; elle est un lieu de rencontre où l’on manifeste la volonté de comprendre l’interlocuteur.

Le socle de la discussion est de porter sur un sujet attrayant pour les différentes parties. L’objectif est que chacun donne à l’autre savoir et réflexion. Et que l’autre ne fasse pas qu’œuvre de politesse, en alimentant l’échange pour satisfaire celui qui parle. Il y a pour cela des professionnels très qualifiés, du psy à l’homme d’église en passant par le travailleur social. Une réponse « forcée » ne relève plus de la discussion, car la discussion est à la fois : un échange à peu près équitable mais surtout libre et spontané.

Discuter c’est être dans le don

Que l’on partage ou non les valeurs des « parties prenantes de la discussion », il est capital, pour que la discussion perdure, d’être d’une compagnie agréable. (Critère auquel la personne mentionnée plus haut répond parfaitement.)

C’est cette capacité à « instruire sans prendre pour un c.. », à être spontané sans paraitre « être dans la retenu » et, avoir de l’esprit, sans faire penser à de la mauvaise foi, qui donne envie de prolonger l’interaction.

En plus de tout ça, la discussion demande une faculté d’adaptation aux personnes, aux moments, aux endroits. Une discussion, c’est comme un sourire, elle ne peut se voler, elle ne peut se quémander, elle ne peut s’acheter. Une discussion ça se donne et se prend telle quelle.

Comment rendre une discussion agréable ?

Les intérêts communs

Ils sont indispensables car ce sont eux qui permettront l’attention et la poursuite de la discussion. D’une manière générale l’Homme s’approche de ce qui lui plait et s’écarte de ce qui lui apporte souffrance et déplaisir. La discussion n’échappe pas cette règle.

Et, puisque la discussion se donne et qu’elle n’est plus discussion, si ce don n’est pas accueilli, il est nécessaire de faire porter le sujet sur un intérêt commun.

Être digne d’intérêt

Il y a des personnes qui s’intéressent à tout. Et ces gens là sont de loin les plus intéressants car en plus de savoir écouter ils savent aussi « relancer la machine », comprendre et « aller plus loin ». Si ce n’est pas déjà votre cas, je vous invite à vous intéresser à tout.

Vous aurez de cette manière de la matière pour discuter. Vous aurez la possibilité de recevoir tous ces dons qui viennent vous enrichir. En conséquence de quoi vous augmentez la probabilité de trouver un intérêt commun avec votre interlocuteur.

Et puis il y a une chose surprenante. A peu près tous les sujets deviennent intéressants à mesure que l’on s’y intéresse. L’intérêt nait de la complexité et de la nuance. Alors, en tendant l’oreille à des notions ou des idées qui nous sont étrangères, nous pouvons faire des découvertes qui ne manqueront pas de nous enrichir.

Le respect de l’autre…

Qui n’aime pas être respecté ?

Personne, absolument personne. (Il y a des personnes qui trouvent de la satisfaction dans l’humiliation mais, in fine, c’est pour l’adhésion à des valeurs qui les dépassent. Et donc, l’obtention de cet idéal les rend, au moins à leurs yeux, respectable.)

Ecouter

A n’en pas douter la première marque de respect est l’écoute. Pas l’écoute distraite qui attend son tour de parole. Ni celle qui prépare la réponse. L’écoute honnête, celle qui a la volonté de comprendre.

Ne vous inquiétez pas de ce que votre interlocuteur pourra vous dire d’autre. Il trouvera tout seul. Ou bien il vous « rendra l’antenne ». Et si le sujet, d’en savoir plus sur ce que l’autre a à vous dire, vous préoccupe je vous propose cet article (et surtout la partie : «Comment poser les questions ?»).

Si l’autre prend la peine de formuler sa pensée, je crois que cela vaut la peine de la comprendre.

J’aime beaucoup cette citation de Bernard Werber : « Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous croyez en comprendre, ce que vous voulez comprendre, et ce que vous comprenez, il y a au moins neuf possibilités de ne pas se comprendre ».

Alors, étant donné qu’il y a beaucoup de chance de ne pas se comprendre, autant faire ce qui est en notre pouvoir pour y parvenir.

Bien écouter

Dans la même veine. Il se peut que nous n’ayons pas raison, ou pas « tout à fait raison ». Roosevelt reconnaissait qu’il ne pouvait être sûr de son jugement plus de 75% des fois (qu’une fois sur quatre il se trompait, si vous préférez). Alors nous, même cultivé, instruit et raisonnable comme nous sommes, ne pouvons-nous pas concéder la même chose ?

Cette concession nous permettra d’entendre l’opinion de l’autre. Pas forcément de l’accepter, mais au moins de l’entendre.

Le fond de ma pensée est que, même le dernier des derniers, même le plus inculte des ignares, peut savoir quelque chose que nous ignorons.

Soyez à l’écoute

Vous connaissez sans doute cette réplique du film « Taxi 2 » :

« Mais dites-moi mon cher Daniel, faire deux choses en même temps, n’est-ce pas là le meilleur moyen de mal faire les deux ? »

Ne pas faire deux choses en même temps permet d’être vraiment disponible à ce que dit notre interlocuteur. Le portable, les enfants ou une autre discussion peuvent distraire notre attention. Ce qu’il faut parvenir à faire c’est être focus sur ce que la personne a à nous dire. Lui prêter une attention exclusive.

En plus, cette attention témoigne du respect et de la considération que nous lui portons.

… et de soi

Le respect de soi est important aussi.

Selon notre caractère et nos habitudes, nous pouvons avoir plusieurs tendances.

La modestie

Soyez convaincu de votre propre valeur.

Quel que soit notre âge, notre expérience ou notre condition sociale, nous avons une valeur intrinsèque. Il y a des choses que nous savons, d’autres que nous savons faire, et il y a ce que nous sommes.

Nos préférences, nos rencontres, nos activités nous ont apporté des enseignements que les autres n’ont pas. Le but de la discussion n’est pas de démontrer votre expertise où d’enseigner à un groupe d’expert. Le but de la discussion est de partager ce que vous possédez.

Et ce que vous possédez en propre, c’est votre expérience.

Nous avons également des loisirs et des centres d’intérêts qui peuvent apporter un nouvel éclairage à notre partenaire. Alors, pourquoi ne pas faire le lien entre ses propos et nos savoirs ?

L’intransigeance

Si vous êtes un humain vous êtes faillible.

Nous avons donc le droit de nous tromper et de ne pas savoir. Cela ne pose aucun problème de le reconnaitre. En plus, cela donne la possibilité à ceux qui nous écoutent d’apporter un élément de réponse. Et, comme tout ce qui est bon pour l’estime de soi, c’est agréable pour notre interlocuteur.

Alors, acceptons d’être imparfait ou ignorant sur certain sujet.

Petite anecdote :

Un jour que je discutais avec un de mes amis (quelqu’un de sûr de lui et de ses jugements), j’ai été décontenancé par un de ses propos. Je venais de lui poser une question à laquelle je pensais qu’il donnerait une réponse « prête à penser ». En lieu et place de quoi, il répondit « Je ne sais pas. Je n’ai pas d’avis sur cette question ».

Cette simple réponse m’a poussé à réévaluer tout ce que je connaissais de lui. A commencer que lorsqu’il affirme quelque chose, il ne le fait pas nécessairement par fierté ou pour « sauver la face ».

L’arrogance

Nous avons besoin de juger pour survivre.

Du coup nous somme parfois tentés de donner nos solutions aux problèmes de l’autre. Et là j’ai encore envie de dire « Ooohpôpop ! »

La vie de l’autre est trop différente de la nôtre pour lui proposer des solutions « clé en main ». S’il nous demande notre avis pourquoi ne pas lui donner notre avis effectivement ? Mais ce n’est pas le but d’une discussion.

La discussion prend ses fondements sur un pied d’égalité et de réciprocité. L’enseignement n’est pas une discussion. L’échange entre un avocat et son client, un médecin et son patient, un guide spirituel et son ??? sont d’une autre nature.

 

Alors pour boucler la boucle, même si la modestie peut entraver la discussion, son absence peu y couper court.

Faut-il préparer une discussion ?

Parce que la discussion est un art, nous pouvons nous y entrainer. Mais pas vraiment la préparer comme on prépare un discours, une négociation ou un débat.

La discussion est encore plus vivante que ces trois autres arts. En fait c’est son but qui impose sa spontanéité. Nous l’avons dit, le but de la discussion est de prendre du bon temps, d’être agréable. Elle ira donc où le vent nous mène.

La discussion ne peut se rédiger ou se répéter. Elle prend vie et meurt en même temps que vous la formulez. Une véritable discussion, c’est celle que vous découvrez en même temps que votre auditeur. Cette discussion est guidée par vous ET par lui. Elle est dépourvue d’arrière-pensée, d’idéologie ou de sous entendu. Elle est vierge d’intention, elle partage généreusement ce que l’on a à offrir.

Alors faut-il la préparer ? Oui et non.

Oui

Parce que cela permet d’améliorer la qualité de notre parole. Nous pouvons l’enrichir par : d’autres discussions, la lecture, la réflexion, l’actualité, nos expériences etc.

Nous pouvons nous y préparer en discutant souvent. Comme pour tout art, l’expertise vient avec la pratique. Pour citer Ducasse « Petit à petit, on apprend des gestes qu’on répète, c’est ce qu’on appelle l’expertise ».

 

Et non

Parce qu’il ne faut pas « l’artificialiser ». Il faut lui laisser sa liberté. Celle de nous mener vers l’autre et de le découvrir.

 

Je terminerai en citant mon père « Il n’est de richesse que d’hommes ». (Oui je sais elle est de Jean Bodin mais je la tiens de mon père !)

 

Et vous, qu’appréciez-vous dans une discussion ?

 

Pierre-Favre Bocquet

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9 commentaires pour “On s’engueule pas, on discute !

  1. Très bel article Pierre-Favre ! Comme toi je suis capable d’entretenir des conversations avec certains amis sur certains thèmes, où je sais par avance que nous ne sommes pas alignés (c’est l’avantage de connaître ses amis). Et pourtant comme tu l’écris fort justement je sais que cela sera enrichissant. Je préfère 100 fois ce genre de “débats” à des discussions bien aseptisées où tout le monde ne dit que des banalités pour être “correct” ! Oui mais paradoxalement c’est avec ses amis et ses proches qu’on peut avoir ce genre d’échanges 😊. Merci en tous cas pour ton article, et perso je suis contre la préparation et plutôt pour la spontanéité 😊😊

    1. Je partage complètement cet désaffection pour les banalités “politiquement correct”, et préfèrent que les gens puissent exprimer librement ce qu’ils pensent.

  2. Un très bel article qui met en avant des éléments qui “ne se disputent pas” (comme dirait ma fille de 4 ans qui mélange régulièrement les verbes disputer/discuter !).
    J’ai aimé que tu mettes en avant l’écoute et le non-jugement qui sont, pour moi, au coeur d’un échange de qualité. On croit souvent écouter alors qu’on est en train de juger et prévoir notre réplique. Pas toujours simple de seulement écouter, et interroger pour mieux comprendre l’autre.

    1. Je trouve ça beau qu’elle puisse mélanger ces deux verbes. J’imagine donc une “dispute cordial”, et rien que cette pensé m’enchante.
      Pas toujours simple effectivement…

  3. Bonjour Pierre-Favre,
    C’est vrai qu’une “bonne” discussion, ça ne coule pas de source. L’aspect le plus important pour moi reste l’écoute active. On apprend tellement en écoutant. c’est ça le plus enrichissant dans des discussions.
    On apprend également à comprendre les non-dits et le non-verbal 😉

  4. Bonjour Piere-Favre,

    Que tu ai parlé de l’écoute dans un article sur le thème de la discussion est très pertinent. En effet, sans véritable écoute, aucune discussion possible 😉

  5. Génial, super article ! J’ai beaucoup aimé le fait que tu insiste sur la puissance d’une écoute attentive. Et puis la citation de Ducasse, c’est la cerise sur le gâteau 🙂 Merci

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